Pourquoi des archives LGBTQI ?
À la suite des travaux pionniers de Magnus Hirschfeld à Berlin dans les années 1920, les initiatives des minorités sexuelles et de genre pour conserver leurs archives et leurs mémoires se sont démultipliées et amplifiées à partir des années 1970-1980 dans de nombreux pays.
Ainsi en France, on assiste à la création en 1984 à Paris des Archives Recherches Cultures Lesbiennes, en 1989 à Marseille de l’association Mémoires des sexualités, en 2001 à Vitry-sur-Seine de l’Académie Gay et Lesbienne ou encore en 2005 à Paris de l’association audiovisuelle trans Médusa.
Cependant il n’existe pas encore à Paris ou en région de lieu disposant de l’espace, des moyens et de la visibilité suffisants pour permettre aux LGBTQI de sauvegarder et partager largement leur histoire et leurs mémoires, comme c’est la cas à San Francisco, Berlin,Amsterdam, Bologne, Prague, Londres.
Le traitement des archives des minorités par les services institutionnels les expose à la dépossession, la dispersion, l’invisibilisation. Il induit également une déformation des représentations et opère un tri inadapté aux critères des personnes concernées. C’est pourquoi le Collectif Archives LGBTQI prône une gestion communautaire de ses archives, comme d’autres minorités le font déjà : le Mémorial de la Shoah, L’Association pour la recherche et l’archivage de la mémoire arménienne (ARAM), la plupart des archives féministes et des Centres d’Archives LGBTQI dans le monde.
Depuis les années 70 et avec la lutte contre le sida, les minorités sexuelles et de genre formulent pour leurs archives des propositions originales et adéquates. Cela passe notamment par le renversement d’expertise qui place les minorités en position d’expert•es de leurs propres vies. Les LGBTQI sont légitimes pour raconter l’histoire de leurs luttes, passées ou en cours et expliquer leurs cultures au sens large du terme et ses codes. Leurs archives sont également des supports pour la re- cherche et la production des savoirs, l’affirmation personnelle et culturelle et la lutte contre les discriminations.
Une culture de l’archive moderne et participative, celle de « l’archive vivante »
Depuis le XIXe siècle qui a consacré l’histoire comme discipline attitrée des archives pour construire le récit national et universaliste à la Michelet, de nouvelles disciplines et de nouveaux acteur•rice•s sont venu•es s’ajouter à la liste des usager•ère•s de l’archive. Il s’agit de l’anthropologie, de la sociologie, des études féministes, des études de genre et des sexualités, des études post-coloniales et décoloniales, des disciplines qui portent un regard critique sur les pratiques traditionnelles de l’archive, sources de violences. Il s’agit aussi de curieux•euses et de passionné•es, de personnes LGBTQI, de réalisateur•rice•s, d’artistes et de commissaires d’expositions. Les usages des archives sont aussi plus nombreux en raison des possibilités offertes par le numérique. De nouvelles formes de publicisation (expos immersives, podcasts, ateliers) et de valorisation ont fait leur apparition.Tout cela témoigne d’un rapport renouvelé à l’archive, moins élitiste, plus large, plus inclusif et plus démocratique.
Notre philosophie de l’archive est particulièrement attentive aux usages de l’histoire, à la dimension politique de l’archive et au nouveau rapport à l’archive qui s’est dessiné après le tournant archival (archival turn) des années 90. Elle tient compte des problématiques spécifiques des archives minoritaires y compris féministes. Elle se nourrit donc des expériences et des solutions éprouvées par les centres d’archives LGBTQI existants.
Elle s’inscrit dans le droit fil des évolutions récentes de la notion de patrimoine, notamment sous l’impulsion de l’Unesco, qui promeut « le patrimoine culturel immatériel » et du Conseil de l’Europe qui met l’accent, dans le cadre de la convention de Faro, sur les « communautés patrimoniales » et les « communautés sources ». Il s’agit ainsi de redonner aux communautés un rôle central dans l’identification, la gestion et la transmission de leur héritage culturel.
Nous proposons une culture de l’archive moderne et participative, celle de « l’archive vivante ». Dans le Centre d’Archives LGBTQI, les donateurs•trices, les usager•ères d’archives et les membres de la communauté seront invité•es à participer à la co-construction des archives dans une démarche ouverte, inclusive et collaborative. À cet effet, le recueil d’archives orales constituera une des priorités du Centre d’Archives LGBTQI.
Le Collectif Archives LGBTQI conçoit également sa politique scientifique (colloques, résidences, séminaires) en étant attentif aux principales transformations de l’archive et à l’état de l’art. Avec les autres lieux qui conservent les archives LGBTQI, le Collectif partage des formations, des bonnes pratiques et des outils (thésaurus et bases de données). Il défend une politique de valorisation décentralisée et transversale, en coordination avec les initiatives régionales et des institutions mémorielles non spécifiquement LGBTQI (expositions itinérantes, projets multi-sites, etc).